Grands métabolismes énergétiques chez les chimiotrophes et leurs relations avec le dioxygène

Chez les chimioorganotrophes classiques étudiés par les microbiologistes du monde médical, vétérinaire et agroalimentaire, on rencontre 2 grands types de métabolismes énergétiques, des fermentations et des respiration. Quand on cherche à embrasser tous les micro-organismes chimio-organotrophes la situations se complique. Si la plupart "rentrent" aisément dans les cases fermentation ou respiration, d'autres beaucoup moins, notamment les bactéries dites méthanogènes et de nombreuses bactéries parmi celles dites acétogènes (même si par exemple, de nombreux auteurs qualifient de respiratoire les métabolismes méthanogènes). Ainsi va la diversité et la complexité du vivant ! Les fermentations sont traités à http://www.perrin33.com/microbiologie/metabolismes/fermentations_1.php. Les respirations sont traitées à http://www.perrin33.com/microbiologie/metabolismes/respirations_1.php.

Les microbiologistes se sont toujours intéressés de très près à la capacité ou pas des micro-organismes à vivre dans un milieu oxygéné par l'air ambiant et à leurs besoins éventuels en dioxygène. En effet, le dioxygène est l'accepteur terminal obligatoire des électrons de la plus "célèbre" des respirations, celles des eucaryotes et on la rencontre beaucoup chez les bactéries. Mais aussi, le dioxygène est un toxique car générateur d'espèces réactives très toxiques : les ROS - (ROS = Reactive Oxygen Species = ion superoxyde, peroxyde d'hydrogène et radical hydroxyl) mais aussi de nombreuses bactéries ne supportent pas le dioxygène (du moins à sa forte teneur actuelle). Ne pas supporter, tolérer ou avoir besoin de dioxygène, ça change tout dans les conditions de conduite des cultures !

On peut proposer les tableaux qui suivent.

1. Cas des chimioorganotrophes d'intérêt médical, vétérinaire ou agroalimentaire

Chimioorganotrophes d'intérêt médical, vétérinaire ou agroalimentaire, appellations selon le type énergétique fermentaire et/ou respiratoire et le rapport au dioxygène

Vocabulaire anglais

Fermentaire (obligatoire)
Anaérobie aérotolérante

= Souche à métabolisme énergétique fermentaire (et uniquement fermentaire) et qui tolère le dioxygène comme présent dans l'air (20%).

Le dioxygène n'intervient pas dans les processus de fermentations. Les fermentaires obligatoires n'ont "droit" qu"aux effets toxiques du dioxygène et ils sont plus ou moins bien équipés pour supporter.

En anglais, Anaérobie aérotolérante =
Aerotolerant anaerobe
Il existe un terme anglo-saxon pour qualifier les fermentaires obligatoires qui supportent les expositions prolongées au dioxygène de l'air mais ne cultivent pas en cette présence.Ce terme est aeroduric.

Fermentaire (obligatoire)
Anaérobie stricte

Souche à métabolisme énergétique fermentaire (et uniquement fermentaire) qui ne tolère pas le dioxygène comme présent dans l'air (20%).

Le dioxygène n'intervient pas dans les processus de fermentations. Les fermentaires obligatoires n'ont "droit" qu"aux effets toxiques du dioxygène. Les anaérobies obligatoires ne sont pas équipées pour résister. La capacité de supporter un petit passage à l'air ambiant ou la présence d'un peu de dioxygène va depuis les aéroduriques jusqu'aux extrêmes oxygène sensibles.

Anaérobie stricte = Anaérobie obligatoire
En anglais, anaérobie stricte = obligate anaerobe

Souche à respiration aérobie ou fermentation
(et éventuellement la possibilité d'une respiration avec accepteur terminal nitrate en anaérobiose)

Aéro-anaérobie facultative

L'effet Pasteur désigne le phénomène régulatoire qui fait que, classiquement, les micro-organismes aéro-anaérobies facultatifs respirent en présence de dioxygène et fermentent en son absence. L'effet Crabtree désigne le phénomène qui fait que certains micro-organismes aéro-anaérobies facultatifs, en présence de concentrations élevées en sucres et de dioxygène, vont réprimer fortement la respiration et vont avoir un métabolisme énergétique fermentaire pour l'essentiel. L'effet Crabtree est bien connu chez Saccharomyces cerevisiae.

Aéro-anaérobie facultative = Anaérobie facultative = Facultative anaerobe en anglais

Souche à respiration aérobie obligatoire
(et éventuellement la possibilité d'une respiration avec accepteur terminal nitrate en anaérobiose)

Aérobie stricte

Il faut savoir que certaines souches classées comme aérobie stricte, en réalisant une culture sur gélose viande-foie par exemple, possèdent l'option "respiration avec accepteur terminal nitrate si anaérobiose et présence de nitrates". Elles sont ainsi capables de cultiver en anaérobiose sur un milieu nitraté ! On voit là toute l'ambiguïté du terme aérobie stricte... Ce terme et et les termes connexes ont été forgés fin 19° début 20° siècle. On a fait alors avec ce qu'on savait et les appellations ambiguës perdurent.

Certaines espèces à respiration aérobie ne se multiplient pas à la teneur en dioxygène de l'air ambiant (21%), c'est trop pour elles. Elles ont ainsi besoin du dioxygène pour respirer aérobie mais sa teneur doit être nettement plus faible que les 21% dans l'atmosphère ambiante pour qu'elles cultivent. On les qualifie de microaérophiles.

Aérobie stricte = Aérobie obligatoire = Obligate aerobe en anglais


Déterminer si une souche isolée est aérobie obligatoire, aéro-anaérobie, anaérobie-aérotolérante ou anaérobie stricte est un critère d'orientation important lors des identifications de souches.

Le test dit de "type énergétique" sur gélose profonde viande-foie ou milieu au thioglycolate permet de rechercher le caractère aérobie obligatoire, aéro-anaérobie, anaérobie-aérotolérante ou anaérobie stricte d'une souche chimioorganotrophe d'intérêt médical, vétérinaire ou agroalimentaire.

VF

Il n'est pas facile de différencier les comportements aéro-anaérobie et anaérobie-aérotolérante avec des tests de cultures simples comme le test en "tube profond viande-foie" ou le "bouillon thioglycolate" : il y a culture en surface et en profondeur. On peut évidemment tester la capacité à respirer à l'aide d'électrodes mesurant la consommation ou pas du dioxygène, mais cela demande du matériel et c'est long et délicat à réaliser. De nombreuses études ont regardé si il existait des corrélations étroites avec la présence ou pas des activités enzymatiques liées à la détoxication des produits toxiques générés par le dioxygène (Reactive oxygen species (ROS)). Les 2 activités les plus célèbres pour éliminer les ROS sont l'activité superoxyde dismutase et l'activité catalase. Le test catalase qualitatif usuel est très simple à réaliser (une solution d'H2O2 suffit et on regarde le bullage gazeux ou pas lié à la décomposition du H2O2). Y'a pas de corrélation qui soit sans exceptions (assez fréquentes) et on propose le tableau qui suit.

Modalités du métabolisme énergétique et relation au dioxygène Présence des activités enzymatiques superoxyde dismutase (SOD) ou catalase

Souche à respiration aérobie obligatoire
(et éventuellement la possibilité d'une respiration avec accepteur terminal nitrate en anaérobiose)

Aérobie stricte

  • SOD+
  • catalase+

Ces souches passent leur temps à respirer aérobie et produisent beaucoup ROS au niveau des chaînes respiratoires elles sont donc très équipées pour supporter le dioxygène...

Souche à respiration aérobie ou fermentation
(et éventuellement la possibilité d'une respiration avec accepteur terminal nitrate en anaérobiose)

Aéro-anaérobie facultative

  • SOD+
  • catalase+

Ces souches savent respirer aérobie elles sont donc très équipées pour supporter le dioxygène ! Forcément, sinon elles sont mortes et donc on ne les voit pas...

Fermentaire (obligatoire)
Anaérobie aérotolérante

  • De façon très générale SOD+
  • Le plus souvent catalase- mais on trouve assez fréquemment des catalase+

Fermentaire (obligatoire)
Anaérobie stricte

  • En général SOD- (pas toujours !)
  • En général catalase- (pas toujours !)

Le test "catalase" est un test classique en identification bactérienne. Ainsi en microbiologie médicale et agroalimentaire ce test participe à différencier les staphylocoques des streptocoques et des entérocoques. Tous sont des coques Gram+ cultivant en surface et en profondeur en gélose Viande-foie en tube étroit mais les staphylocoques sont catalase+ et les streptocoques et entérocoques catalase-. Si on y regarde de plus près, on a les staphylocoques anaérobies-facultatifs (respiration ou fermentation) et les streptocoques et entérocoques anaérobies aérotolérants (fermentations exclusives).

retour en haut de page



2. En essayant de faire un panorama de toutes les chimiotrophies

Le tableau ci-dessus se limitait aux seuls chimioorganotrophes des domaines médicaux, vétérinaires et agro-alimentaires. On peut s'essayer à voir plus général pour tous les chimiotrophes. Ce qui donnerait le tableau qui suit.

Appellation au regard de la relation au dioxygène

Types de métabolismes énergétiques rencontrés

Exemples commentés

Anaérobies strictes
obligate anaerobes

On va trouver :

  1. les fermentaires obligatoires anaérobies strictes ;
  2. les souches à respiration sulfate accepteur terminal des électrons, toujours anaérobies strictes
  3. les bactéries méthanogènes et les acétogènes, toujours anaérobies strictes ;
  4. des souches plus exotiques à respiration avec les accepteurs terminaux fe(III) ou Mn(IV) ou S et anaérobies strictes
    (certaines pouvant aussi fermenter ...).
  • Le genre Clostridium est le genre "typique" du cas A. Les Clostridium comme Clostridium acetobutylicum ou perfringens font partie des anaérobies stricts qui sont un peu équipés en enzymes permettant de lutter contre les espèces réactives de l'oxygène (équipement en superoxyde dismutase). Ainsi, s'ils ne cultivent pas en conditions aérobie, ils supportent le contact plusieurs heures.
  • Desulfovibro desulfuricans est la plus connue des bactéries à respiration sulfate comme accepteur terminal des électrons. Elle est même capable de réduire des minéraux toxiques comme l'uranium(VI) et le chrome(VI) en formes insolubles, intéressant !

Anaérobies aérotolérantes
aerotolerant anaerobes

On va trouver :

  1. les fermentaires obligatoires aerotolérants (les classiques, le bien connu !) ;
  • Les bactéries lactiques du yaourt Streptococcus thermophilus et Lactobacillus delbrueckii subsp. bulgaricus figurent parmi les fermentaires obligatoires aérotolérantes les plus célèbres.

Anaérobies facultatives
facultatives anaerobes

On va trouver :

  1. les souches à respirations aérobies ou fermentation (c'est la classique, le bien connu !). Avec dans ce groupe ceux qui possèdent aussi, en plus, la respiration nitrate anaérobie ;
  2. des souches plus exotiques à respiration aérobie (avec notre bon vieil O2 accepteur terminal des électrons) mais aussi anaérobie avec un large panel d'accepteurs terminaux comme le fer(III) ou Mn(IV) ou le S ... .
  • E. coli est la plus célèbre représentante des espèces à respirations aérobies ou nitrate anaérobie ou fermentation.
  • Les bactéries du genre Schewanella sont des hétérotrophes aéro-anaérobies facultatives capables de respirer aérobie mais aussi avec accepteurs thiosulfate, ou sulfite ou soufre élémentaire ou fumarate ou Fe(III) ou Mn(III/IV)...
  • Des souches Geobacter sulfurreducens qui possèdent une respiration anaérobie avec accepteur terminal Fe(III) ou S et classées anaérobies strictes dans la littérature ont montré des capacités à respirer aérobie dans des atmosphères oxygénées mais à taux de dioxygène inférieurs à 10% et sont capables de survivre en présence des taux atmosphériques de dioxygène pendant plusieurs dizaines d'heures. On est là à la limite des appellations anaérobie/aérobie-anaérobie facultative ...

Aérobies strictes
obligate aerobes

On va trouver :

  1. les souches à respirations aérobies obligatoire(le classique !) ;
  2. les souches à respiration obligatoire avec le dioxygène accepteur terminal et possibilité de respiration avec nitrates accepteur terminal des électrons en anaérobiose. Elles sont conventionnellement classées aérobies strictes !!
  3. Les cas des microaérophiles est commenté juste à droite.

  • Mycobacterium tuberculosis responsable de la tuberculose est aérobie stricte et tristement célèbre.
  • Pseudomonas aeruginosa est une bactérie aérobie stricte dénitrifiante bien connue :respiration obligatoire avec le dioxygène accepteur terminal et possibilité de respiration avec nitrates accepteur terminal des électrons en anaérobiose
  • Le monde eucaryote est très très globalement aérobie strict. Le terme est discutable pour certaines levures comme Saccharomyces cerevisiae bien connues pour leurs capacités à la fermentation alcoolique. Mais Saccharomyces cerevisiae est un "vrai-faux" aérobie-anaérobie facultatif : la biosynthèse des stérols membranaires et des acides gras poly-insaturés n'est possible qu'en présence d'une oxygénation minimale ; sinon il faut un apport préformé dans le milieu de culture.
  • Campylobacter jejuni , une espèce impliquée dans des pathologies entériques, est respiratoire aérobie microaérophile : elle ne se multiplie pas aux teneurs en dioxygène de l'air ambiant (21%), les teneurs classiques de culture sont vers 5-10%. Cette espèce possède des capacités de respiration avec les nitrates comme accepteur terminal mais ne peut cultiver en anaérobiose totale en milieu nitraté car la certaines de ses biosynthèses - notamment d'ADN - sont dépendantes d'un apport en dioxygène ! Complexité et diversité des métabolismes...


retour en haut de page