En général les inhibiteurs chimiques irréversibles se lient à l'enzyme de façon covalente, mais ce n'est pas une règle absolue ! (Voir par exemple en fin de ce paragraphe).
On l'a présenté dans le paragraphe 1, Le N-ethylmaléimide est une substance chimique qui s'additionne de façon covalente aux fonctions thiols des résidus cystéyls et se comporte ainsi souvent en inhibiteur de nombreuses enzymes à cystéines comme l'hexokinase, la papaine, la succinate deshydrogénase ...
L'effet inactivant n'est pas très ciblé : beaucoup d'enzymes porteurs de l'acide amminé réactif seront atteints.
Il s'agit d'analogues des substrats naturels catalysés, qui sont reconnus par l'enzyme et sur lesquels la réactivité catalytique de l'enzyme conduit à la formation d'une liaison covalente très stable bloquant l'enzyme. En quelque sorte, l'enzyme se tue en essayant de catalyser cet analogue, d'où la dénomination de substrat suicide.
Exemple très classique : les antibiotiques de type βlactame inhibiteurs de type substrats suicides des transpeptidases. Voir les détails à http://www.perrin33.com/microbiologie/lereste/lactam_3.php.
L'IUPAC préfère le terme "mechanism-based inhibition" au terme "suicide inhibition" et donne la définition suivante : Irreversible inhibition of an enzyme due to its catalysis of the reaction of an artificial substrate. Also called 'suicide inhibition.
Exemple classique : le PMSF (phenylmethanesulfonylfluoride) ou l'AEBSF or 4-(2-aminoethyl)benzenesulfonyl utilisés comme inhibiteurs des protéases à sérine active dans de nombreux "coktails inhibant les protéases" (à ajouter à des lysats celllulaires ..).
Les protéases à sérine active possèdent dans leur site actif une sérine dont le -OH est déstabilisé par un environnement très particulier et devient un nucléophile très très puissant capable d'attaquer une liaison peptidique. Un intermédiaire covalent est formé lors de l'hydrolyse de la liaison peptidique. Le PMSF est un réactif qui ne réagit pas avec le -OH des sérines "normales", en revanche il alkyle (sulfonylate ?) les sérines "actives" (les sérines en environnement très particulier et devenues très nucléophiles des protéases à sérine). La sérine "active" est modifiée de façon covalente stable : l'enzyme est inactivée.
Ces réactifs sont très dangereux car ils inactivent aussi l'acétyl-choline estérase qui est une estérase à sérine active !
Remarque. Il était donc difficile de ne pas évoquer ici les organophosphorés, composés développés aussi bien comme insecticides (chlorpiryfos...) qu'armes chimiques (gaz sarin...) pour leur capacité à inactiver l'acétylcholine estérase en réagissant avec sa sérine active et donnant des formes inactives très stables (plusieurs jours).
Des inhibitions chimiques quasi irréversibles existent par interactions faibles puissantes entre enzyme et inhibiteur..
Ainsi, le pancréas produit un inhibiteur de la trypsine qui est une petite protéine de 56 acides aminés. Cet inhibiteur se lie, par une boucle, au site actif de la trypsine et la constante de dissociation EI <->E+I est de l'ordre de la picomol/L ! C'est très très faible et on peut montrer que cela signifie que la constante de vitesse de dissociation de EI est largement inférieure à 0,001 s-1 (démonstration dans le $7.1 de Cornish-Bowden, Fundamentals of enzyme kinetics, 4th Edition). C'est très très lent ! Et donc si vous voulez éliminer l'inhibiteur par dialyse, vous en avez pour très très très longtemps : la liaison EI est quasi-irréversible. Physiologiquement l'inhibiteur protège le pancréas contre des activations précoces du zymogène trypsinogène (le précurseur inactif de la trypsine) en trypsine.