Systématique en microbiologie. Notion d'espèce. Classification mixte consensuelle en bactériologie


5. Classification universelle phylogénétique mixte et consensuelle

Préalable : "There is no official classification of prokaryotes, but the names given to prokaryotes are regulated by the International Code of Nomenclature of Bacteria (Bacteriological Code) and its successors (International Code of Nomenclature of Prokaryotes)". Citation fondamentale issue de la page d'introduction du site "LPSN - List of Prokaryotic names with Standing in Nomenclature" https://lpsn.dsmz.de/text/introduction (06/2022).

Actuellement, la classification "d'usage" des bactéries se fonde sur la prise en compte d'un maximum de données : données génétiques et constructions phylogénétiques mais aussi et toujours données phénotypiques et données écologiques (c'est fondamental les données écologiques !!)... Et, par le biais des consensus scientifiques entre spécialistes, elle tente de recevoir un agrément universel (pour le moins l'agrément d'un maximum de bactériologistes). Les auteurs qualifie la taxonomie actuelle de "polyphasic taxonomy" que l'on peut traduire par "taxonomie polyphasique" ou par "taxonomie mixte et consensuelle" (ce dernier terme était proposé par Euzéby sur http://www.bacterio.cict.fr/ avant 2013). Il n'empêche que la définition du terme espèce en bactériologie ne peut toujours guère être plus précise que : "une espèce bactérienne est constituée par sa souche type et par l'ensemble des souches considérées comme suffisamment proches de la souche type pour être incluses au sein de la même espèce."

5.1 Définition génétique de l'espèce : "genomospecies"

Des comités désignés par "l'International Committee on Systematic Bacteriology"/"International Committee on Systematics of Prokaryotes", ont été chargés de la définition de l'espèce bactérienne. Ils ont travaillé à des définitions fondées sur les études des homologies de l'ADN entre deux souches (une référence et une à comparer à la référence). Par convention, une espèce ainsi définie uniquement génétiquement serait à appeler genomospecies.

Grosso modo, à partir de la fin du 20° siècle (article fondamental de Wayne en 1987, Int. J. Syst. Bacteriol. 37, 463-464), deux qui souches présentent un pourcentage d'hybridation ADN-ADN d'au moins 70% (réassociation >70% des 2 ADN totaux génomiques dans des conditions standardisées) sont considérées comme appartenant à la même genomospecies.

Mais les techniques moléculaires progressent vite. Et le séquençage (devenu techniquement très abordable) du gène de l'ARN ribosomal 16S va rapidement entraîner une évolution : une genomospecies, c'est un groupe de souches qui présentent pourcentage d'hybridation ADN-ADN d'au moins 70% et plus de 97% d'identité dans la séquence du gène de l'ARN ribosomal 16S (Stackebrandt, 2005, Nat Rev Microbiol. 2005;3:733–739).

Et on ne peut arrêter le progrès ! Et à partir des années 2010, c'est le séquençage à l'échelle des génomes complets qui est devenu abordable. Et donc les études de mesures d'identité nucléotidique à l'échelle des génomes entiers déplacent la question (whole-genome average nucleotide identity, ANI). Avec l'ANI, la plupart des auteurs proposent une identité d'au moins 94-95% pour l'appartenance à la même espèce (Jain, Nat Commun 9, 5114 (2018)).

 

Note : il existe aussi un critère négatif de la genomospecies compatible avec le précédent : si les séquences ARNr 16S présentent moins de 97% d'homologie, alors les 2 souches appartiennent à des espèces différentes.

Note : J'ai cru comprendre que les 2 critères hybridation ADN-ADN d'au moins 70% et plus de 97% d'identité dans la séquence du gène de l'ARN ribosomal 16S se recoupent le plus souvent, mais pas de façon universelle. Ainsi il existe des paires de souches qui présentent 97% d'identité ARN 16S mais pas 70% d'hybridation ADN-ADN.

Note : La définition genomospecies ci-dessus est en fait très "large" : appliquée aux mammifères, l'homme et le chimpanzé appartiendraient à une même une même genomospecies élargie à tous les singes (hybridation ADNhumain-ADNchimpanzé vers 95 à 96 %)

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International Committee on Systematic Bacteriology Chan, J. Z., Halachev, M. R., Loman, N. J., Constantinidou, C., & Pallen, M. J. (2012). Defining bacterial species in the genomic era: insights from the genus Acinetobacter. BMC microbiology, 12, 302. https://doi.org/10.1186/1471-2180-12-302 Murray, C. S., Gao, Y., & Wu, M. (2021). Re-evaluating the evidence for a universal genetic boundary among microbial species. Nature communications, 12(1), 4059. https://doi.org/10.1038/s41467-021-24128-2 Gevers, D., Cohan, F. M., Lawrence, J. G., Spratt, B. G., Coenye, T., Feil, E. J., … Swings, J. (2005). Re-evaluating prokaryotic species. Nature Reviews Microbiology, 3(9), 733–739. doi:10.1038/nrmicro1236

5.2 Espèces décrites, nommées et reconnues

Pour les espèces nommées et reconnues dans la classification, on peut énoncer certains critères :
- une genomospecies devrait avoir été individualisée ;
- une liste de caractères phénotypiques, écologiques mais aussi génétiques permettant de la distinguer des autres genomospecies devrait avoir été établie ;
- la description de l'espèce devrait comporter tous les caractères permettant un diagnostic différentiel.

On peut illustrer avec quelques exemples :

Les souches-types de Clostridium botulinum, de Clostridium putrificum et de Clostridium sporogenes constituent en fait une unique genomospecies. En théorie, on pourrait créér une seule espèce regroupant toutes les souches de cette genomospecies et l'appellation de Clostridium putrificum aurait priorité en regard des règles de nomenclature (hors sujet ici). Cependant, pour éviter tous risques de confusion, Il a été internationalement décidé de conserver Clostridium botulinum pour les souches produisant la toxine botulinique. Et d'ailleurs, certaines souches qualifiées de Clostridium botulinum sont parfois très éloignées de la souche-type de cette espèce (hybridation ADNsouche x-ADNsouche-type trop faible) et sont plus proches d'autres espèces du genre Clostridium. Mais comme ces souches synthétisent une toxine botulique il est certainement judicieux de garder pour elles Clostridium botulinum
Conclusion : La notion de genomospecies, c'est bien mais il est des cas où l'intérêt (phénotypique) médical prime. Il s'agit bien d'une classification de consensus.

Bacillus anthracis, Bacillus cereus et Bacillus thuringiensis sont génétiquement extrêmement proches et la question de les fondre en une seule espèce peut se poser. Mais l'intérêt médical sera de garder Bacillus anthracis pour les souches pathogènes de l'anthrax (celles qui portent les plasmides pXO1 et pXO2 à l'origine de cette pathogénicité). Et l'usage biotechnologique des souches possédant les gènes cry à l'origine des toxines parasporales à action sur les insectes incitera à garder Bacillus thuringiensis. Même si l'acquisition par conjugaison des gènes cry par une souche de Bacillus cereus la "transforme" en Bacillus thuringiensis. On a bien dit classification mixte consensuelle ...

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5.3 Taxons de rang hiérarchique plus élevé que l'espèce

Il n'existe aucune définition en soi du genre, de la famille ... C'est affaire de consensus, mais il s'agit cependant de construire une hiérarchie des taxons créés en cohérence avec les résultats des études de phylogenèse.

On peut illustrer avec un exemple :

Soit le genre Bacillus défini comme il l'a été historiquement de façon exclusivement phénétique : les souches de type bacilles à paroi de type Gram positif, chimiorganotrophes, aérobies strictes ou aéro-anaérobies facultatives, pouvant sporuler selon des endospores et généralement retrouvées dans les sols.
Ce genre est apparu très hétérogène :
- le "G + C pour cent" des diverses espèces varie de 32 à 69;
- l'’étude des ARNr 16S et 23S indique une hétérogénéité phylogénétique et montre que le genre Bacillus doit être scindé en plusieurs genres.
Ainsi on a réorganisé le genre et on a créé (ces dernières années) les genres Alicyclobacillus, Aneurinibacillus, Brevibacillus, Gracilibacillus, Geobacillus, Marinibacillus...


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